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LE BLOG DE RAOUL LEMOPI, Enseignant de Philosophie et Consultant en développement

7 juin 2013

LE SENAT AU CAMEROUN: COMPRENDRE AUTREMENT L'UNIFORMISATION DE LA VIE POLITIQUE AU CAMEROUN

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25 mai 2013

LES ENSEIGNANTS ECRIVENT A PAUL BIYA

LE_MESSAGER

L’ECOLE CAMEROUNAISE A L’EPREUVE DES EXIGENCES D’EFFICACITE ET DE COMPETITIVITE.

 

LEMOPI TSASSE Raoul* et FOFOU Erick Gaston*

 

Excellence, en nous attaquant de plein front à la méga-crise globale où l’école camerounaise éprouve charnellement sa mort et rythme péniblement sa survie, nous avons voulu saisir adéquatement tout le champ perturbé à l’intérieur duquel des enseignants et les autorités en charge de l’éducation des masses parlent de nos jours, ce champ qui les engage non seulement à se comprendre comme un monde en pleine dérive, mais à se forger et à générer pour eux-mêmes de nouvelles raisons de vivre et de mourir, pour reprendre KA MANA dans La destinée négro-africaine : expérience de la dérive et énergétique du sens.

 

Il est question de s’arrêter devant cette folklorisation de l’école et même de la bousculer pour découvrir que, derrière ces immenses rites incantatoires auxquelles se livrent les autorités ainsi que les acteurs qui ont en charge la gestion de cette institution, se cachent les logiques de répétition chorale d’un même originel qui adresse un clin d’œil moqueur à ceux qui, hier comme aujourd’hui, ont appelé tout tranquillement « l’école de qualité » et sur laquelle, une partie de l’élite gouvernante peu soucieuse des exigences d’efficacité, de performance et donc de compétitivité, jure la main sur la poitrine qu’elle est la locomotive qui doit conduire le Cameroun à l’émergence à l’horizon 2035.

 

Excellence, le problème sera de voir comment, au sein d’une dérive existentielle profonde, l’école camerounaise peut s’engager dans la voie patiente d’une métamorphose qui donnerait une figure plus humaine à son avenir : une école qui libère les camerounais de l’ignorance et du besoin et non le contraire.

 

           

 

Tous les intellectuels et stratèges sérieux savent que l’investissement dans la qualité de la population constitue la clé infaillible du développement et ­­­­\ ou de la prospérité d’une nation. Pour dire les choses autrement, les investissements dans l’homme et dans le savoir sont des facteurs décisifs permettant d’assurer durablement l’amélioration de son niveau de vie. Tout se passe alors comme si, pour reprendre KARL MANHEIM, fondateur de la sociologie de la connaissance, l’homme n’agit qu’en fonction de ce qu’il connaît ; son rapport à l’homme et à la nature dépend de ce qu’il connaît de l’homme et de la nature. Si cela est admis, c’est à l’école que revient la charge de cette transformation qualitative de la population puisque c’est à l’école qu’on stimule chez l’enfant l’émergence des aptitudes propices à l’éclosion de la mentalité dite technoscientifique nécessaire à la structuration objective d’un monde qu’il est appelé à l’avenir à y imprimer son pouvoir d’être et de faire. Une telle transformation elle-même ne peut être initiée et encadrée en amont que par des élites politiques suffisamment lucides et porteuses d’une vision, non pas au sens mystique ou mystérieux du terme, et inscrites dans une dynamique globale d’une praxis de la métamorphose.

 

            En effet, lorsque dans un Etat normal donné, les autorités politiques et administratives font de l’éducation de leurs citoyens une priorité, l’école devient véritablement une institution qui influence radicalement et de façon efficace et efficiente les politiques publiques en matière d’investissement dans la qualité de la population d’une part et le mode de vie des populations par l’application des résultats des travaux scientifiques d’autre part. Par l’action qu’elle exerce sur le milieu humain grâce à ses résultats, l’école déclenche des réactions positives sur l’environnement. La société avec tout ce qu’elle comporte de politique, de religion, d’idéologie et même d’économie s’intéresse à l’école, s’en occupe et s’en nourrit. De ce point de vue, l’école ne peut plus se faire à l’écart de la politique, de la religion, de l’économie, de la science et vice versa. L’école devient une sorte d’oreilles et d’yeux nouveaux qui créent une manière de percevoir le monde et de l’organiser en fonction de l’aspiration globale de la société qui est, dans le cas d’espèce, la prospérité du Cameroun.

 

            Dans ce contexte, non seulement l’école se démocratise et se désacralise en se mettant de plus en plus à la portée de la multitude, mais aussi inspire confiance à l’environnement social. Puisque l’école dans un tel contexte de normalité est désormais prise en charge par des élites clairvoyantes et visionnaires, les prismes représentationnels à travers lesquels les membres de la communauté éducative toute entière se perçoivent et s’orientent  ainsi que les structures d’objectivité où prennent concrètement chaire les forces éthico-professionnelles et les dynamiques représentationnelles s’ennoblissent. Désormais, l’enseignant est respecté et sa profession encadrée. Ces élites clairvoyantes, regroupées autour d’un projet commun, entreprennent de lutter contre les forces réactionnaires pour défendre leur idéal. Par quelles voies ?

 

  • En commençant par se faire connaitre et reconnaitre par la société
  • En clarifiant les concepts courants qu’elles se proposent de manipuler en fonction de leur idéal. On peut en fournir des exemples : Qu’est-ce qu’une école du point de vue fonctionnel, technique et même esthétique? Quelles en sont les caractéristiques ? Qu’est-ce qu’un enseignant et comment le devient-on ?...Qu’est-ce qu’un élève et comment le devient-on ? L’élève se réduit-il à ce spectateur-réceptacle assis dans une salle de classe et l’enseignant ce demi-dieu perché à l’estrade qui pontifie à tout vent?...
  • En brillant par l’exemplarité et l’abnégation aux fins d’introjecter et de maintenir dans l’inconscient de l’individu social par la discipline, la vision qu’elles portent.

 

De cette entreprise de clarification épistémologique, juridique, éthique et praxéologique, devraient émerger des enseignants-vrais et les apprenants, eux aussi les vrais, en possession de toutes les ressources psychologiques pouvant inciter chacune des parties à jouer sereinement la partition qui lui est dévolue. Dans ce contexte, la communauté éducative dans son entièreté, partie intégrante du système éducatif global mise en œuvre par des élites clairvoyantes dont elle a clairement conscience du sens (signification et direction), de la valeur et de la finalité, n’a désormais d’yeux que pour l’éducation. Et il faut entendre par éducation non pas l’art d’assommer les gens avec les sermons et autres pièces détachées des théories momifiées fabriquées ailleurs et déversées dans nos salles de classes et amphithéâtres par des contrebandiers intellectuels. Elle est au contraire création d’attitudes et de comportements nouveaux qui doivent amener l’individu comme la société à de nouvelles manières de faire et de vivre.

 

Ces nouvelles manières de faire et de vivre dans le contexte qui est le nôtre est l’acquisition et la concrétisation de la culture technoscientifique, laquelle culture, nécessaire au développement du Cameroun par les camerounais et pour les camerounais se caractérise, au dire de MALANDA DEM dans sa Mentalité africaine et avenir de la science , par la prédominance de l’objectivité sur la subjectivité, le sens de l’abstrait, la construction des grands ensembles, le sens de l’ordre, la domestication de sa sensibilité, la structuration du temps objectif saisi comme distinct de l’espace, la contrainte et la soumission aux contraintes du réel perçu comme objectivement indépendant du sujet ; ce qui exige de la part des enseignants, des apprenants bref de la communauté éducative toute entière une dépense considérable d’énergie humaine si tant il est vrai qu’on ne change pas les habitudes humaines par décret, encore moins celles de toute une société.

 

L’amélioration des infrastructures économique et sanitaire devient alors la pierre angulaire de l’implémentation de cette nouvelle culture. En effet, l’enseignant qui vit dans le perpétuel sentiment de manquer le nécessaire a toujours peur et ne peut pas songer à donner une place à l’objectivité, à l’honnêteté, à la justice, encore moins à structurer et à domestiquer ses instincts. Comme l’avais déjà souligné en 2003 LEMOPI TSASSE Raoul dans La pensée inférentielle et l’éducation au primaire : Jeu, enjeux et critiques , article qui lui avait valu une bourse du Centre Educatif de Bastos, plongé dans un environnement incertain dans lequel la mort est à brève échéance le sort qui  guette l’enseignant ainsi que les membres de sa famille, celui-ci n’a plus de temps pour une quelconque contrainte scientifique. N’ayant rien à perdre, la loi et les règlements ne sont plus pour lui. Le philosophe allemand HEGEL a très bien analysé cette situation dans ses Principes de la philosophie du droit en son alinéa 244. Il fait remarquer que la misère et la pauvreté ont tendance à entrainer « la déchéance d’une grande masse d’individus au-dessous d’un certain mode de subsistance, mode qui se règle de lui-même comme celui qui est nécessaire à un membre de la société _et partant, le fait que cette déchéance conduit à la perte du sentiment du droit, de la rectitude et de l’honneur qu’il y a à subsister par son activité propre et son travail_ produit l’engendrement d’une populace, lequel à son tour apporte avec soi la facilité accrue de concentrer des fortunes disproportionnées entre peu de mains ». Plus simplement, Hegel dit que l’inconfort économique et sanitaire exalte l’incivisme et le vice, libère la subjectivité en faisant confondre les désirs personnels avec la réalité, fait fuir le gout du travail et même l’amour et le respect de soi.

 

Emboitant le pas à HEGEL, le philosophe français JEAN-PAUL SARTRE montre dans sa Critique de la raison dialectique que dans un contexte de ressources limitées, la rareté est la matrice de toutes les aliénations. A cause de la rareté, laisse-t-il entendre en substance, le « même » c’est-à-dire mon semblable apparait comme un non-homme, un sous-homme, un homme-sujet. Cette thèse d’inspiration nietzschéenne qui fragmente l’humanité en deux catégories engagées dans une lutte à mort pour la survie trouve dans nos Collèges, Lycées et Universités toute son expression : d’un côté, ceux qui sont voués à l’Excellence, les chefs d’établissement c’est-à-dire les surhommes, en langage nietzschéen (Principaux, Proviseurs, Recteurs et Doyens), avec tout ce que cela comporte comme avantages réguliers et irréguliers. De l’autre, leurs collaborateurs, les sous-hommes, voués à la médiocrité à qui les premiers abandonnent toutes les activités non génératrices de prébendes. Alors que les premiers doivent développer leur richesse humaine, pour reprendre une terminologie du philosophe camerounais NJOH-MOUELLE EBENEZER, les seconds sont appelés à la déchéance ou à l’exploitation. Toutes ces vacations qui frisent la prostitution intellectuelle ainsi que ces prestations en trompe-l’œil en tant que conseillers pédagogiques dans les structures d’enseignement privé deviennent les rares moments de loisirs où ces collaborateurs des responsables du secteur public croient jouir d’un semblant de liberté et donc d’humanité, sacrifiant ainsi sur l’autel de quelques subsides les missions régaliennes qui sont les leurs au nom des solidarités négatives tissées avec certains fondateurs véreux.

 

Excellence, voilà pourquoi, l’avènement d’une  véritable culture de l’école au Cameroun, même si cela reste un événement, demeure indissociable d’un réaménagement qualitatif et quantitatif d’un ordre économique, sanitaire et un environnement scientifique conséquent. Ce dernier est constitué d’un chapelet d’éléments quantifiables et non quantifiables, humains et non humains en l’occurrence la chaleur humaine de sympathie, d’amitié, d’amour, de confiance. A cela il faut ajouter le droit au silence meublé de calme, la douceur du climat, autant de droit pouvant être garantis par le confort d’une maison avec ce que cela implique de beauté, de fraîcheur, d’intimité ainsi qu’une certaine aisance matérielle, en constituent d’autres éléments constitutifs de l’environnement scientifique comme le sont aussi les laboratoires équipés, les jardins scolaires pour expérimentation des théories, toutes ces cantines scolaires pour élèves et enseignants aux repas de qualité à des prix incitatifs, tous ces engins de transport avec leurs commodités  pour enseignants et élèves, des centres hospitaliers dotés d’équipement de pointe pour enseignants et élèves, une lisibilité sur l’insertion professionnelle postuniversitaire ou secondaire des apprenants, la courtoisie des populations riveraines autant que leur honnêteté et leur discipline…Lorsque ces conditions minimales sont réunies et la culture de l’école assise, libérés des préoccupations du lendemain, l’enseignant et l’apprenant expérimentent l’audace de sortir de leur cocon de subjectivité, multiplient les tentatives de sonder le silence morne du monde et surtout l’audace de voler vers les théories et la création des concepts nouveaux, fussent-ils simplement opératoires, et de soutenir la lutte pour la défense de leurs idées.

 

Le Cameroun se trouve donc une fois de plus devant un choix à faire : ou bien il choisit de révolutionner concrètement son école c’est-à-dire implémenter une autre façon nouvelle de voir l’école pour en faire une école du développement et promouvoir lui-même son développement, ou alors il s’entête dans la révolution verbale qui masque mal la survivance des réflexes ethnico-prébendiers, le trafic d’influence, le clientélisme, la prolifération d’activités parasitaires, l’érotisme, la tricherie, le manque d’homogénéité entre les différents acteurs de la chaine éducative, la fraude scolaire, les évaluations fantaisistes, les cours au rabais et s’acculer éternellement à faire appel aux étrangers pour promouvoir son « développement » et donc  contribuer fièrement à la fuite de ses maigres ressources .

 

Faute de cette révolution réelle et sérieuse de  vision et d’un réaménagement qualitatif et quantitatif d’un ordre économique, sanitaire et un environnement scientifique conséquent, le cortège de séminaires pédagogiques budgétivores, l’activisme dégoutant qui berce le chemin de croix du manuel scolaire, l’orgasme discursif où l’on scande indéfiniment la refonte des programmes, l’optimisme suave d’un sérum enchanteur sous la forme des A.P.C (Approche Par les Compétences) sans qu’on ait fini le deuil  et les funérailles de l’A.P.O (Approche Par les Objectifs), n’auront qu’un effet minime sur les dysfonctionnements et pourront même générer d’autres impasses épistémologiques et des balbutiements stratégiques corrélatifs des insuffisances de théorisation que nous analyserons, nous en sommes certains, dans nos prochaines méditations.

 

                                               CONCLUSION

 

            En écrivant cet article, nous nourrissons l’espoir que, pour l’essentiel, les analyses présentées ici connaitront sinon un sort favorable, du moins des améliorations. Ce qui ne veut pas dire que nous attendons une réaction positive, du moins sur certains points, de la part des responsables en charge de l’éducation au Cameroun. Nous pensons que l’ère de la supercherie et de l’hypocrisie marquée par la profusion des discours enjôleurs par quelques prébendiers assoiffés de pouvoir qui excellent dans l’art de défigurer la réalité doit résolument être dépassée. Qu’au lieu de faire l’apologie du fond résiduel d’une école en agonie et longtemps sous perfusion, il faille sonder la discursivité pour en exalter la fécondité. Et on ne peut y parvenir qu’en analysant froidement et sans complaisance la réalité, puisqu’un diagnostic bien posé est une guérison à moitié assurée. Nous ne sommes donc ni des afro-pessimistes, ni des afro-optimistes. Nous sommes des afro-lucides.  

 

    

 

*LEMOPI TSASSE Raoul et  FOFOU EricK Gaston sont respectivement  Professeurs de Philosophie et de mathématiques au Lycée bilingue de Nylon Brazzaville de Douala.  Le premier est Secrétaire Exécutif de Cemac Initiatves Association et Consultant en Développement. Le second est Chercheur en géostratégie africaine

 

 

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